Tuinal bleu et rouge, en forme de balle, Séconal rouge baiser.
Encore une fois, cela n’a rien à voir avec la fac. Mais en même temps, je crois que la fac ne mérite l’exclusivité des mots et des dessins d’aucune page web (contrairement à la prépa, qui n’est pas un truc de « pédé »)
Je vais parler des médicaments, notez bien qu’on reste dans le domaine de la science.
Je devais avoir trois ans, je m’en souviens, à la faveur d’une cassette audio sur laquelle je m’auto enregistrait, magnétophone couleur criarde, on imagine bien.
On m’entendait: « maman, du sirop, du sirop pour ma toux! » avec une voix très étranglée, agrémentée de raclements de gorge, je me le reconnais, assez convaincants.
Donc tout a commencé avec ce sirop pour la toux, qui a d’abord excité mon goût du sucre puis qui , avec ses acolytes Spasfon, Doliprane, Aspegic, Locabiotal, Rinoflumicil, m’a révélé une vérité magique.
A un problème du corps correspondait une solution . La solution avait en plus un joli nom, long et compliqué, qui donnait l’air savant dans ma bouche. La solution en elle même n’est guère compliquée. Elle s’avale, se laisse fondre ou se vaporise, rien de bien méchant, je ne comprend pas les enfants qui refusent un médicament, et le problème s’en va comme il était venu.
La corrélation taille géante du problème ( maux de tête insupportables, impossibilité de respirer la nuit à cause du nez bouché_ bien sûr la bouche est occupée par le pouce_, gorge irritée, j’en passe et des meilleurs) /taille minuscule de la solution (on peut elle au moins la casser en morceau pour la faire passer) a remporté toute mon admiration et mon adhésion.
J’apprenais les notices. Les listes d’effets secondaires me firent peur un temps, puis je décidai de les ignorer, et retrouvai mon calme.
Un peu plus tard j’ai découvert qu’il existait non seulement des solutions aux problèmes du corps, mais aussi aux problèmes de l’esprit. Le sirop pour la toux à forte dose fait dormir (seulement celui des toux sèches!), de même que le Mercalme, trois dolipranes calment (mais trois Aspegic font saigner le nez!).
Il existe une catégorie dédiée au problèmes psychiques, personne ne l’ignore. Nous y voilà, les insomnies précoces de la jeune Alexandra R…… nécessitaient traitement. Cela a commencé par un sirop étrangement ressemblant à celui contre la toux. Et bien cette fois, grande déception. Mécontente, j’exigeai mieux, ce fut des petites pilules oranges, non moins inefficaces. Autant dire que je n’en menais pas large, devant cette impuissance de la médecine, qui m’avait jusque là comblé.
Finalement j’ai compris qu’on me spoliait, moi la reine du placard à pharmacie. Les médicaments, comme je l’avais pensé au début, ont bien réponse à tout, à absolument tout, sur les principe (la réponse n’étant pas forcément la solution, moi aussi je pense au cancer, au sida). Seulement, on n’a pas accès à toutes les réponses sans un minimum d’âge, de poids, et de conviction en sa souffrance devant le médecin de famille.
Qu’importe, ma mère, mon père, détenaient les réponses qui m’étaient défendues, et c’est bien connu, les mères soulagent leurs enfants.
Ainsi je rencontrai le stilnox, un bien grave médicament, comme on peu le sentir en lisant les lourds mots de la longue notice. Il s’agit d’un benzodiazépine, c’est à dire que ce n’est pas la peine de se prendre pour Marilyne Monroe, qui elle prenait des barbituriques. Mais tout de même, un hypnotique est un hypnotique, et ça rimerait bien avec magique.
Pour commencer, les effets parviennent avec plus de rapidité que chez n’importe quel antalgique ou bien anxiolytique. Ensuite, le sublime de cette demi ou entière dragée blanche, c’est qu’elle va interrompre le flot incessant de pensées qui jouent à se renvoyer des balles alors que leur pauvre émetteur attend le sommeil.
Ce qu’il se passe, en tout cas pour moi, c’est que toutes ces idées qui défilent, qui occupent trop de place et de mouvement pour que je puisse m’endormir, vont perdre leurs contours solides et leurs contextes. Elles vont alors se rentrer dedans, et plus ou moins fusionner, le plus naturellement du monde. Elles deviennent de plus en plus succintes, se résument à une image, entrent en collision, le résultat est incohérent, mais qu’importe, il est acceptable pour le spectateur engourdi, c’est même joli, ce fouilli, cette rapidité, cette absurdité qui ne choque pas, des feuilles de cours qui parlent, des écouteurs branchés dans une côte. Et puis à force de se rentrer dedans, ça s’agglutine en une masse, laissant peu à peu le paysage cérébral devenir nu, complètement nu, avenue déserte et silencieuse après cet agréable feu d’artifice d’idées aussi saugrenues que banales qui ont joué en tout sens un ballet sans règles, le calme est là, et dieu merci, l’on dort. C’est un sommeil sans rêves, et c’est un sommeil propre, car au réveil, la masse dégueulasse a fait place nette, il ne reste aucun souvenir des fabulations hybrides. Ce n’est pas un vrai sommeil, mais il fait taire.
Alexandra.